Tuesday, July 15, 2014

Le Luxembourg est officiellement un Paradis judiciaire et règlementaire (II)






















Exodus. Le voilier « La Méduse » en route pour Londres. 
Photo : Secrétariat CSV

Le Luxembourg est officiellement un Paradis judiciaire et règlementaire (II) 
La déontologie n’est pas ontologique 

S’il y a un malaise qui est considéré comme une trivialité au Luxembourg, c’est bien cette corruption rampante et légitimée par la coutume au sein du gouvernement qui consiste à distribuer des sièges dans des Conseils d’Administration, d’autres cumuls et privilèges et de permettre les rotations entre emploi public-privé sans restriction. Récemment un code de déontologie a prétendu réglementer ces pratiques douteuses pour les Ministres. Il a été développé par les ministres de l’ancien gouvernement pour les ministres, et repris tel quel par le nouveau. Ce code est en fait un village de Potemkine auquel on s’est résolu pour faire taire les critiques. En réalité, ce code ne fait que suggérer un comportement aux ministres. Il est libre à chacun de l’interpréter à sa guise. Bref, c’est un code qui n’a pas dents.

Quand la déontologie n’est pas dans le ventre

On est dans le processus typiquement luxembourgeois, qui consiste à éviter la prise en charge d’un problème important, et à ne faire des concessions qu’en cas de crise aigüe, comme dans le cas de pressions internationales. Nous l’avons vu avec la question du secret bancaire et de l’information automatique. Nous allons revivre un long kabuki similaire avant d’accéder à des institutions vraiment transparentes, au droit du public à l’information ou FOI, aux sanctions pour abus de pouvoir, à une justice qui fonctionne dans des délais raisonnables, et à des organes de contrôle dans lesquels les supervisés ne supervisent plus les superviseurs. Je viens d’énumérer le laxisme et la permissivité qui définissent le « système luxembourgeois ». Pour le nouveau gouvernement, l’excuse est que ce système est synonyme et contemporain de l’Etat CSV. Mais d’ici peu, sans réformes profondes, Gambia en sera le propriétaire.

Cela prendra certes du temps et des petits pas pour changer ce système. Car dans le « group-think » de cette caste politique/fonction publique supérieure, les extras sont considérés comme des droits acquis, donc légitimes. Les comptes à rendre sont par conséquent une notion largement inconnue. Dans le monde anglo-saxon, souvent précurseur pour réprimander et interdire les pratiques douteuses de ceux au pouvoir, ce système est appelé tout simplement corruption et est sanctionné. Mais attention, cette approche sera imposée encore une fois au reste du monde par des législations anglo-saxonnes au long bras extraterritorial telles que FCPA et UK Bribery Act.

La déontologie au pays des merveilles

En attendant, au Luxembourg, nous avons encore récemment vu des nominations de certains cumulards de la fonction publique aux Conseils d’Administration de la BCEE et des Chemins de Fer. D’autres pratiquent le pantouflage, comme récemment des hauts fonctionnaires du Ministère des Finances qui se sont fait recruter l’un par la Banque de Luxembourg, l’autre par la BIL. Il y a bien eu quelques protestations dénonçant cette pratique des portes tournantes. Elles étaient vite balayées. Une question parlementaire du député Justin Turpel au Premier Ministre n’a pas été traitée avec le respect et la transparence que le public et son représentant élu au Parlement méritent. La réponse évasive était typique pour l’ancien gouvernement. Pour le nouveau gouvernement, c’est tout simplement désappointant. Connaitre la liste des privilégiés et de leurs privilèges n’est donc pas encore un privilège du public au Luxembourg. Aux Etats-Unis, ce serait une liste des inculpés.

Plus explicite encore est la position de Luc Frieden, député, ancien Ministre des Finances et de la Justice entre autres. Il prend un poste important dans le privé, à la Deutsche Bank à Londres. Il ne se voit pas encombré par un code de déontologie qui, quoique en chantier depuis des années, n’a été adopté qu’en 2014, alors qu’il n’était plus ministre…. Et de toute façon, se tenir au code est, comme nous l’avons vu, facultatif.

Il est remarquable qu’à ces niveaux de service public, député et ancien Ministre de la Justice, il faille y avoir un code écrit pour expliquer ce qui est juste et injuste, ce qu’il devrait faire et ce qu’il ne devrait pas faire. Il faut aller chercher bien loin pour justifier qu’en tant que dauphin possible de Jean-Claude Juncker, il quitte sa fonction de député pour le plus grand bien de son parti. Et il faut expliquer aux nombreux électeurs pourquoi ils ont été dupés pour élire un candidat qui n’accepterait pas d’être sur un banc d’opposition, tout comme son mentor Juncker. Le parti CSV, pourtant représentatif d’un grand pan de sensibilités, se trouve bien affaibli par ces deux désertions. Bien naïfs sont ceux donc qui croient que la vertu vient avec la fonction, et que les individus qui accèdent à des fonctions publiques importantes le font grâce aux valeurs qu’ils représentent. Il faut donc un code qui les y contraigne.

Le code de déontologie sera testé internationalement

Ce que les anglo-saxons appellent et interdisent aux ministres, est la « Revolving Door ». Leurs codes interdisent de prendre une quelconque fonction dans le privé qui présenterait un conflit d’intérêt, comme par exemple un ancien ministre des finances qui rejoindrait une banque. On dira pour Luc Frieden que ceci se passe à Londres. Il faudra cependant réconcilier l'envergure européenne des responsabilités d’un ministre luxembourgeois et son accès à l’information et aux prises de décisions politiques européennes, et de celles de la Banque Mondiale comme gouverneur et du FMI, surtout en période de crise bancaire.

Dans le contexte purement d’une déontologie personnelle, dans le cas où la déontologie règlementée ne s’appliquerait pas, le choix de la Deutsche Bank comme abri n’est pas des plus heureux, sachant que la Deutsche Bank a eu un investisseur de taille juste au mois de mai 2014, €8 milliards de la part du Qatar. Comme Luc Frieden a eu de grands mérites pour développer des liens privilégiés entre le Qatar et le Luxembourg, et comme il a vendu 35% de Cargolux à Qatar Airways, ainsi que les banques BIL et KBL à un des Fonds tentaculaires du Qatar, il s’expose à l’apparence d’un conflit d’intérêt. Mais parait-il, il y a eu une conversation entre lui et le Premier Ministre, et j’en conclus que tout s’est passé selon les procédures très simples du système luxembourgeois. Sans doute est-ce une situation où tous les intérêts, ceux du gouvernement, de Luc Frieden et de ses camarades du CSV sont alignés, comme on dit si bien.

Faut-il mentionner que Luc Frieden sera en particulier en charge de questions règlementaires bien anglo-saxonnes à la Deutsche Bank à Londres justement? A ce sujet, j’espère que la Deutsche Bank  aura pris soin de consulter le Lord Chancellor sur la portée du « United Kingdom Bribery Act », dans la mesure où il pourrait avoir un effet dissuasif sur le recrutement d’un élu étranger, ancien ministre de surcroit, sur la place de Londres. C’est d’autant plus d’actualité alors que le Ministère de la Justice américain et la « United States Securities and Exchange Commission, SEC » ont activé le « Foreign Corrupt Practices Act, FCPA » pour investiguer les pratiques de recrutement de quelques banques qui sont soupçonnées d’avoir recruté en Asie des membres de famille de personnes influentes. Selon le Wall Street Journal, ce sont entre autres Crédit Suisse, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Citigroup et UBS. Comme nous voyons, on met les pieds dans le monde cossu des « Politically Exposed Persons » bien au-delà des frontières des Etats-Unis?

Le nouveau code : bien essayé

Mais même au Luxembourg, au moment d’écrire ces lignes, il y a eu du nouveau. Le gouvernement s’était réuni en conclave au Château de Senningen pour deux jours et a daigné communiquer ceci au brave peuple :

« Les ministres réunis en Conseil ont fixé les grandes lignes d’un nouveau code de déontologie applicable aux membres du gouvernement. Afin de rendre les dispositions du code contraignantes, il recevra la forme d’un règlement grand-ducal. Un point essentiel concerne les devoirs d’un membre du gouvernement ayant quitté ses fonctions. Il sera obligé de s’abstenir pendant 24 mois d’utiliser des informations non publiques et dont il a pu avoir connaissance dans l’exercice de son mandat. En cas de non-respect de cette disposition joueront les voies de recours du droit civil ».

En première analyse, les nouveaux châtelains du Château de Senningen se sont choisis quelques règles, qui essentiellement ne vont produire aucune contrainte. Ce nouveau code n’interdira pas de joindre n’importe quelle société privée. L’ancien ministre devra «s’abstenir pendant 24 mois d’utiliser des informations non publiques et dont il a pu avoir connaissance ». De quoi rêver ! Pourquoi pensez-vous que la Deutsche Bank recrute Luc Frieden ? Si quelqu’un n’est pas content, en cas de non-respect de cette disposition, joueront les voies de recours du droit civil ? Cinq ans ou dix ans de procédure dans le système judiciaire luxembourgeois ? Il faudra vraiment être mécontent.


Il faudra revoir la copie. Aussi, le soi-disant « Ministeschgesetz » n’est pas un « Gesetz », une loi. Les châtelains préféraient concocter leur propre recette, sur mesure, sans doute pour pouvoir un jour émuler Luc Frieden. Etienne Schneider, qui d’ailleurs a le grand mérite d’avoir démissionné de ses postes dans plusieurs Conseils d’Administration quand de fonctionnaire il est entré au gouvernement, a essayé de justifier sur RTL la relative mollesse du nouveau code, en ce qu’il permet le recrutement d’un ministre par le privé, avec comme seule restriction que la recrue ne peut pas divulguer des informations non publiques à son nouvel employeur. Il conclue que sans cette clause, (ahurissante), il ne lui resterait que le job de sage-femme. C’est un junckérisme pour noyer le poisson. Le Ministre de la Justice devra néanmoins être un sage-homme, pour l’accouchement de cette nouvelle copie, s’il ne veut pas se faire dire que Monsieur Braz s’est inspiré à Brazzaville pour son nouveau code. Par contre, je pense que Monsieur Schneider a protégé ses arrières en profitant d’un congé sans solde en tant que fonctionnaire. De toute façon il est aussi pour une limitation des mandats. Bravo encore pour cela. Il réintègrera sans doute son ancien Ministère en 2018? Sinon il n’y aura que les Finances et le Lobbying qui seront réellement exclues, et bien sûr Ministre de la Guerre d’Al Qaeda. Tout le reste est virtuellement ouvert, y compris Evêque de Luxembourg par changement d’Administration, si la séparation entre l’église et l’état n’a toujours pas eu lieu.






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