Friday, October 9, 2009

Luxembourg, l'Irlande, le Québec, les Iles Caïmans et le Budget 2010.


"Nous n'avons pas hérité le monde de nos parents, nous l'avons emprunté de nos enfants".


Proverbe de la Nation Indienne Haida, Nord-Ouest Canadien


Le vote irlandais

Les Irlandais, qui avaient voté "Non" avec leurs tripes l'année passée, ont maintenant voté "Oui" avec leur porte-monnaie. La Constitution Européenne, pardon pour le vilain mot, le Traité de Lisbonne, est finalement adopté. Oh, il reste quelques détails à régler dans les Marches de l'Empire, à Prague et à Varsovie. Des formalités. Quelle belle leçon de persévérance et quel encouragement pour nos amis Québécois, ce vote irlandais. Il démontre qu'il suffit de voter et de voter encore jusqu'à ce qu'on obtienne le "Oui". Si vous le voulez vraiment, vous l'aurez votre Québec Libre.

Saint Willibrord

Au Luxembourg, dans toutes le paroisses, c'est le soulagement. C'est qu'il y en a qui ont prié au grand Saint Willibrord, qui venant de l'Irlande il y a quatorze siècles, s'est décarcassé pour apporter la bonne parole à nos aïeuls païens. Ils ont tous été entendus, pas les païens d'antan, mais nos contemporains: l'Eternel Candidat à l'Europe, ses Dauphins et tout ce qui grouille et grenouille dans leur sillage.

Croyez-vous détecter comme qui dirait un suintement de désapprobation dans mes paroles? Eh bien oui, même si je suis content que St Willibrord ait encore une fois mis la main à la pâte, je n'aime pas sa façon epternacienne de deux pas en avant, un pas en arrière en matière européenne. Viennent à l'esprit deux cafouillages qui font que les Maîtres à Penser de l'Europe ne méritent pas les compliments qu'ils se font. Il y a d'abord cette "Constitution", ravalée au simple statut de Traité de Lisbonne, geste pudique pour cacher la peur qu'ils ont eue de leur propre courage. Un demi siècle après le Traité de Rome, l'Europe, indécise et désorientée, ne sait toujours pas quel est le but final de son intégration. Il y a ensuite le recours au référendum dans beaucoup de pays membres pour ratifier un document par le grand public qui était écrit par des experts pour des experts. Ils ont produit une liste monstre de règles et de leurs interminables exceptions. Les peuples, qui n'ont pas lu le traité, ont fini par voter sur des impressions, et de façon mitigée.

Le 18:21h pour Bruxelles

Maintenant que ce train pour l'Europe quitte la gare, quel lien y a-t-il avec le budget national pour 2010? C'est que l'Eternel Candidat pour l'Europe, pourrait enfin obtenir son "oui", tout comme l'Irlande ou le Québec. Il a pourtant été plébiscité par les Luxembourgeois lors des élections de juin pour être le sheriff qui garderait leurs richesses. Mais le voilà qui risque de chevaucher vers le soleil couchant, dans les plaines du Far West bruxellois, nous laissant en plein désarroi, avec un budget en déficit de €2,2 milliards et une dette de €7 milliards.

Eh bien tant pis alors, on va se débrouiller sans lui, car, comme disait Jefferson, dès qu'un homme a jeté un regard languissant vers une haute fonction, une dégradation commence dans sa conduite. De nos jours, les capitaines ne coulent plus avec leurs bateaux.

Comme orphelins, il nous est difficile de dire si on est dans le bon, sans timonier, et je propose qu'on analyse les problèmes qui nous sont laissés, dans un laboratoire extérieur: les Iles Caïmans. C'est plus facile que de s'ausculter soi-même.

Le malaise luxembourgeois au labo

Les Iles Caïmans, 57.000 habitants, souffrent des mêmes symptômes que le Luxembourg. Le budget des recettes a été projeté à $800 millions. Il se compose à 50% de revenus de la place financière, que le Président Obama a d'ailleurs citée en exemple de paradis fiscal avec en particulier une adresse, Ugland House à George Town, Grand Cayman, abritant quelque 19.000 sociétés "boîte postale". Le solde des recettes budgétaires, 50%, proviennent de l'impôt sur les importations. Il n'y a pas d'autre impôt perçu dans la juridiction, ni sur les ventes, ni sur les salaires. La manne provenant de décennies de recettes du secteur financier a créé des habitudes qui ont entouré le Gouvernement, les sociétés financières, et la population de la fausse certitude que le paradis éternel existe sur Terre. Et voilà que se produit un cataclysme pire qu'un ouragan estival: les recettes viennent à manquer. Le déficit budgétaire sera de l'ordre de $100 millions. Pour combler le trou, difficile de le faire par le biais d'économies: des programmes dispendieux ont créé des dépenses fixes, une classe de fonctionnaires en surnombre, richement compensée, et une population en roue libre sur des transferts sociaux et qui opposent ce que le New York Times a appelé "une hérésie" dans ces îles: créer de nouveaux impôts. Londres, qui exerce encore une tutelle sur le territoire, veut voir de l'action, que le Gouvernement Caïman voudrait escamoter en attendant on ne sait quel miracle.

Il est vrai que les choix sont limités. Augmenter les impôts sur les sociétés fera fuir les presque 10.000 hedge funds et les locataires d'Ugland House vers d'autres cieux, illico. Rien ne se déménage aussi facilement qu'une société financière, surtout celles de la catégorie "boite postale". Avec elles s'en iraient quelques milliers d'expatriés, Canadiens, Américains et Européens qui aident à faire fonctionner la machine. Donc 50% du budget des recettes sont à risque, et avec le déclin des activités financières, les importations et l'impôt sur les importations, source des autres 50% de recettes budgétaires, déclineront aussi. Il ne reste que la restreinte budgétaire et l'introduction d'un impôt sur le revenu et sur les ventes pour contrecarrer cette réaction en chaine. Comme il n'y a pas de bon choix, le moins mauvais est celui-là: économiser plus et dépenser moins. Une population habituée à une opulence jalousée par le reste du monde doit tout d'un coup serrer la ceinture.

Le diagnostic de malaise passager est exagéré dans le mauvais sens

Avec un budget annuel de $800 millions, le laboratoire Caïman est une maquette à l'échelle 1:22 du Luxembourg qui a un budget de $17,6 milliards. Le déficit budgétaire de l'un est de 12,5% de l'autre de 22%. Notre fièvre est donc plus élevée encore que la leur. Vous n'avez pas manqué de vous en apercevoir: les symptômes luxembourgeois ressemblent furieusement à ceux des Iles Caïmans. Sachant cela, notamment que le long fleuve tranquille d'argent facile du centre financier pourrait se réduire à un petit pipi, ce que les docteurs luxembourgeois prescrivent dans leur projet de budget, a sa logique propre et étrange. Vous et moi, nous avons une autre logique. Nous n'avons jamais pensé à celle-là:

· Si l'argent vient à vous manquer, dépensez plus! Le budget des dépenses est en augmentation de 5,71%, mais celui des recettes est en régression de - 8,71%. Il n'y a que les matelots ivres sur la Reeperbahn qui font pareil. Ils appellent cela des dépenses anticycliques, sous savez, quand on est dans le creux de la vague....

· A ce train on en arrive à un trou de €7 milliards, c.à.d. €14.000 par tète d'habitant ou €56.000 par famille de quatre. Si la nouba continue, on arrivera sans doute aux €12,5 milliards que quelqu'un d'imprudent avait osé avancer après les négociations de la nouvelle coalition. Cela ferait €24.000 par habitant ou €96.000 par famille de quatre. Oui, vrai, il y a les banques. Même celles qui resteront, ne payeront plus la manne des années de vaches grasses.

· On ne va pas augmenter les impôts. Ouf, ce serait anti-anticyclique!

· On ne va pas diminuer les impôts non plus. Ah bon, quelle logique ? L'Etat dépense l'argent qu'il n'a pas, et il n'augmente pas les impôts. Pourquoi il n'arrêterait pas plutôt de dépenser l'argent qu'il n'a pas et réduirait les impôts, surtout pour les PME. Les PME souffleraient, et comme toujours seraient les premières et les seules à embaucher quelques uns des milliers de chômeurs.

· On vous dira que c'est un budget anticrise pour soutenir l'économie. Pour le petit Luxembourg, dont les heurs et malheurs économiques dépendent de la bonne santé des économies voisines, cela est une prétention qui ignore la relativité de sa taille. Vous vous rappelez des petites histoires absurdes sur l'éléphant et la souris: les deux traversent le désert et la souris dit: "Jumbo, regarde derrière nous, la poussière que nous soulevons." Quel effet de stimulation pourrions nous avoir sur une économie tournée sur l'extérieur et où le secteur financier, neutre au stimulus, représente 40%?

· On vous dira qu'il faut maintenir le pouvoir d'achat à un niveau élevé. On décidera donc par un vote qu'on est toujours riches. Tous les matelots sont d'accord. On ne va quand même pas mettre les vaches sacrées au régime pendant les années de vaches maigres!

St Willibrord, expliquez nous la pari de Pascal

En conclusion, on nous présente un choix politique qui est la décision de ne rien décider pour confronter les risques. Fermer les yeux est une stratégie de défense amusante: on ne voit pas la baffe arriver.

Un fol espoir est à la base de cette pensée: que la crise que nous vivons est passagère. On dépensera donc €1 à 2 milliards, qu'on aurait pu économiser tout aussi bien. Ne vaut-il pas mieux de se tromper du côté de la prudence? Alors que d'aucuns voient les premiers signes de reprise, il y a des gros nuages noirs à l'horizon. En effet, il y a toujours l'incertitude sur certains produits financiers, l'immobilier commercial, les grands prêts à l'industrie, les hedge funds, les cartes de crédit, les effets de faillites en chaine et les engagements croisés entre les produits financiers. Aux Etats Unis, la Federal Deposit Insurance Corporation, FDIC, qui assure les dépôts des clients des banques est intervenue dans près de 100 faillites bancaires cette année. Sa "watchlist" ou liste des mauvaises banques, approche les 500. Le fameux professeur Nouriel Roubini de la New York University School of Business prédit une reprise anémique avec un risque d'un double plongeon qui suivrait celui de 2008-2009. Il prévient aussi que la reprise boursière est trop forte, trop rapide et trop tôt.

On dit que nous n'avons pas hérité le monde de nos parents, mais que nous l'avons emprunté de nos enfants. Nous leur avons aussi emprunté €7 milliards. Le pari de Pascal transposé ici aurait été sur la probabilité que le pire est devant nous, que le danger de double plongeon existe et qu'il faut faire l'économie de nos moyens maintenant pour en disposer si jamais l'apocalypse se présente. C'est un pari gagnant dans tous les cas: si elle arrive, on sera plus forts, si l'apocalypse n'existe pas, nous aurons fait des économies et en sus on était dans le bon avec les critères européens sur les dépassements budgétaires. La règle de jeu applicable aux grands, qu'il faut stimuler, ne s'applique pas également aux petits.

Retour à la politique: où êtes-vous, jeunesses chrétiennes, démocratiques et socialistes? Ne pourriez vous pas jouer à l'ultime réservoir de la raison? Rappelez ces vieux matelots à l'ordre, ou ce sera vous qui, à l'heure de l'addition, ferez la vaisselle.

Egide Thein

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